Joël Ceccaldi, 5 octobre 2022
Tel est le titre d’un livre récemment écrit par Nathalie Saint-Cricq, journaliste politique qui nous raconte à sa manière la fin de la vie de Georges Clémenceau, après sa rencontre avec une éditrice dévastée par le suicide récent de sa fille. Et si cet engagement mutuel devenait la substance d’une proposition programmatique — faite par l’usager potentiel ou réel de notre système sanitaire et médicosocial que nous sommes tous — à l’égard du professionnel de santé amené à l’accueillir et à prendre soin de lui au soir de sa vie ?
Il est notoire que le monde de la santé va mal et qu’un nombre croissant de soignants quittent l’institution. Que ceux qui y restent s’épuisent et souffrent des conditions dégradées d’un travail qui n’est plus vécu ni comme vocation, ni même comme une mission, mais comme un temps à passer pour être rémunéré et pouvoir jouir ensuite et enfin d’un peu de temps libre. Comment, dans un tel climat de la clinique, être et rester suffisamment hospitalier à l’égard de celles et ceux qui s’éprouvent mourants parmi les mortels que nous sommes tous ? En ces temps sombres où manquent les ressources, tant matérielles qu’humaines et spirituelles, la proposition d’une loi en faveur d’une « aide médicale à mourir » ne fleure-t-elle pas la trouvaille opportuniste pour gérer la pénurie sous le masque d’une avancée historique en termes de droits humains — en l’occurrence celui d’une ultime liberté ?
En écrivant au fur et à mesure à notre intention de lecteurs son journal de bord, alors qu’il se savait condamné par un mal incurable, et sans exiger qu’on abrège sa vie, Axel Kahn n’a-t-il pas aidé à vivre les soignants qui l’ont aidé à mourir en l’accompagnant au mieux jusqu’au bout ? En rédigeant ses « fragments », parfois d’une main tremblante tant il était fatigué, une dizaine d’années après sa méditation intitulée « Vivant jusqu’à la mort » et écrite alors qu’il avait déjà 83 ans, Paul Ricoeur, que le docteur Lucie Hacpille avait initié aux soins palliatifs en accompagnant son épouse, n’aide-t-il pas aussi à sa manière non seulement le monde sanitaire, mais le monde entier de son lectorat à vivre moins mal ?
Que proposer, à côté de ce que l’État est censé faire en matière de santé publique, pour que nos soignants en souffrance aillent un peu mieux ? Leur confier officiellement la charge supplémentaire d’abréger la vie de celles et ceux qui leur en font déjà la demande ? Les sondages ont beau être ou sembler en faveur d’une « aide médicale à mourir », on a du mal à penser que la mise en place d’un tel dispositif puisse significativement contribuer à améliorer la morosité ambiante et la qualité de leur vie au travail.
Les applaudissements vespéraux à nos balcons de confinés furent bienfaisants pour le moral des troupes soignantes mobilisées face à l’émergence d’un virus couronné. Au-delà de ce baume collectif éphémère, comment mieux prendre soin de celles et ceux qui nous soignent et continuent de le faire contre vents et marées ? Serait-il possible, chacun de son côté, d’imaginer quelque chose pour leur faciliter la tâche ?
Il me vient une idée : les directives anticipées. Voilà bientôt 20 ans que leur rédaction est proposée à chacun d’entre nous. Mais si peu en profitent pour faire savoir aux professionnels de santé ce qu’ils voudraient ou ne voudraient pas qu’ils fassent pour eux le moment venu. Ce à quoi ils tiennent, et ce dont ils ont horreur. Ce qui compte vraiment pour eux, au-delà de techniques de réanimation qui peuvent être frappées d’obsolescence ou de cases à cocher sur un formulaire périssable. Oser exprimer librement les valeurs morales auxquelles on croit, les valeurs spirituelles auxquelles on adhère, brièvement et clairement, voilà qui peut, au-delà de l’intérêt personnel, aider le cas échéant l’équipe soignante à mieux respecter la volonté et la dignité des personnes, conformément à la loi.
Je suis retraité. J’ai soigné pendant plus de 40 ans. Vous ne pouvez pas savoir le bien que ça fait de rentrer chez soi en se disant qu’aujourd’hui, cette personne est morte certes, mais dans des conditions conformes à ce qu’elle souhaitait. C’est reposant pour l’esprit, ça motive pour repartir le lendemain.
Et vous, quelle idée avez-vous pour améliorer la qualité de la vie au travail de celle ou celui qui vous soigne, vous ou l’un/l’une de vos proches ?