Joël CECCALDI
Voici que le rapport Chauvin remis début décembre 2023 à la ministre des solidarités propose la création de « maisons d’accompagnement » en guise de nouvelle étape « vers un modèle français des soins d’accompagnement ». A la bonne heure, celle qui précède et annonce la bonne nouvelle d’un événement heureux propre à changer nos vies, en particulier vers la fin, mais pas que !
De quoi s’agit-il ? D’une aide active à mourir, mais pas seul, vraiment pas seul, puisqu’activement accompagné ; et vivant, toujours en vie, puisque soigné jusqu’au bout sans être tué. Mais sans être en bonne santé pour autant, évidemment : maladie, handicap et grand âge ne sont solubles ni dans une loi nouvelle ni dans un énième rapport à leur sujet. Il n’empêche : se donner les moyens, davantage de moyens pour ne pas laisser seuls celles et ceux qu’affecte le mal subi, voilà de quoi redorer un peu le blason du troisième et dernier volet de notre devise républicaine laïque. Car si fournir à qui veut en finir les moyens de se tuer va a priori dans le sens de la liberté, et si abréger la vie de qui le demande parce qu’il n’a plus les moyens de le faire lui-même va dans celui de l’égalité, la fraternité s’y retrouve-t-elle vraiment dans l’affaire ? Certes, la tradition militaire permettait d’achever le frère d’arme blessé plutôt que de le laisser souffrir seul sur le champ de bataille. Mais l’analogie ne perd-elle pas de sa force dès lors qu’on associe le climat de la clinique non plus à la guerre totale mais à la paix de l’apaisement de la douleur et des symptômes pénibles que savent et peuvent procurer des soins idoines, pour peu que l’on s’en donne les moyens, techniques et humains ?
Ces maisons d’accompagnement envisagées pour celles et ceux dont l’état sanitaire ne nécessite pas/plus l’hospitalisation, mais dont l’état social ne permet pas le retour à un domicile — quand il existe encore —, voilà sans doute une bonne chose. Encore faut-il que lesdites maisons soient habitées comme il convient : par des compagnons, des accompagnants, des accompagnateurs et des copains… Si notre langue commune est si riche pour nommer celles et ceux qui ne laissent pas tomber leurs semblables, ne serait-ce pas parce que le peuple qui la parle reste suffisamment riche et solidaire, donc éventuellement disponible pour aller peupler et donner une âme à ces nouveaux espaces d’accueil ?
Faisons, même à la louche, le compte des ressources humaines disponibles. Il y a les aidants de tous ordres, que leur dévouement peut épuiser au point parfois d’en mourir avant même celle ou celui qu’ils aident. Il y a les bénévoles dûment formés qui émargent à des associations loi 1901 reconnues d’utilité publique. Et il y a les auxiliaires et les ministres du culte qui exercent dans le cadre de services d’aumônerie régis par l’article 2 de la loi 1905. Un concentré de bonnes volontés, un formidable vivier, un potentiel extraordinaire, pour peu qu’il soit correctement structuré, organisé, préparé et coordonné pour l’immense tâche à accomplir, en collaboration et en complémentarité avec les professionnels des ESMS qui n’arrivent pas à accompagner comme ils aimeraient le faire les malades et les résidents qu’ils accueillent. Et puisque l’État propose ces maisons ad hoc, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de l’idée en organisant carrément un service public de l’accompagnement pour fédérer l’ensemble ? Il ne resterait plus alors qu’à évaluer l’incidence de la mise en œuvre de ces mesures sur la demande sociétale d’aide active à mourir pour décider de l’opportunité et de la pertinence d’un changement des lois en vigueur…