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CCNE Avis 139 relatif aux fins de vie : les recommandations

Les propositions du CCNE sont développées en deux volets d’égale importance et leur complémentarité doit guider la réflexion du législateur. Elles reposent sur la conciliation de deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité avec les personnes les plus fragiles et le respect de l’autonomie de la personne.

Synthèse des Recommandations (p. 34-37) par Jacques FAUCHER

Si le législateur souhaite s’emparer de ce sujet, le CCNE considère qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger, présentées ci-après. Le CCNE ne comprendrait ni l’absence d’engagement des acteurs politiques en faveur de mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs, ni la limitation du débat à celles-ci.

Les propositions du CCNE sont développées en deux volets d’égale importance et leur complémentarité doit guider la réflexion du législateur. Elles reposent sur la conciliation de deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité avec les personnes les plus fragiles et le respect de l’autonomie de la personne.

A. Renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs (p. 34-36)

1. Imposer les soins palliatifs parmi les priorités des politiques de santé publique.

2. Assurer le développement effectif d’une discipline universitaire (idéalement interdisciplinaire) consacrée aux soins palliatifs avec nomination d’un universitaire dans chaque faculté de santé.

3. Soutenir la recherche interdisciplinaire sur la fin de la vie.

4 Valoriser les soins relationnels, l’accompagnement des personnes malades et de leurs proches, les pratiques respectueuses des droits des patients, dans les temporalités requises, dans des lieux dédiés, avec des ressources humaines effectives, interdisciplinaires.

5. Renforcer les soins palliatifs à domicile et dans les établissements médico-sociaux.

6. Inscrire les soins palliatifs dans le cadre de programmes régionaux de santé (PRS) et dans les projets médicaux des établissements de santé et médico-sociaux.

7. Procéder dans les meilleurs délais à une évaluation rigoureuse de la loi du 2 février 2016

8. Soutenir l’expression anticipée de la volonté.

9. Favoriser le caractère interprofessionnel de la procédure collégiale, incluant si nécessaire la consultation d’experts, lors de toute décision d’arrêt de traitements.

10. Rendre plus effectif l’accès à la sédation profonde et continue jusqu’au décès,

11. Les mesures de santé publique citées aux points ci-dessus doivent impérativement être prises : la très grande majorité des situations de fin de vie pénibles, voire inacceptables, résultent d’une mise en œuvre insuffisante, voire défaillante, des dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

12. Favoriser l’appropriation par chacun des questions relatives à la fin de vie par le développement de conférences, de formations ou d’ateliers spécifiques, au collège, au lycée, à l’université dans les médias, les lieux de soins etc.

13. Encourager la sensibilisation de l’ensemble des professionnels de santé aux questions relatives à la fin de vie, pour fluidifier et apaiser leur rapport à la mort, les aider à cesser de la confondre avec l’échec.

14. L’État doit poursuivre parallèlement d’importantes campagnes de prévention du suicide.

B. Quels repères éthiques en cas de dépénalisation de l’aide active à mourir ? (p. 36-37)

15. Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme.

16. Laisser en dehors du champ de la loi ceux qui ne sont physiquement plus aptes à un tel geste soulèverait un problème d’égalité des citoyens qui constitue en lui-même une difficulté éthique majeure.

17. La demande d’aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d’une procédure collégiale.

18. La décision de donner suite à une demande d’aide active à mourir devrait faire l’objet d’une trace écrite argumentée et serait prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale

19. Le médecin en charge du patient et les autres professionnels de santé participant à la procédure collégiale devraient pouvoir bénéficier d’une clause de conscience, accompagnée d’une obligation de référer le patient à un praticien susceptible de donner suite à la demande du patient.

20. La loi telle que réformée par les dispositions envisagées aux points précédents devrait faire l’objet d’une évaluation dans un délai maximum de cinq ans

C. Nécessité d’un débat national (p. 37)

Par cet avis, le CCNE contribue à éclairer le débat public. Il souligne la nécessité, avant l’engagement de toute nouvelle réforme législative en ce domaine de la fin de vie, d’un débat national sur cette question. Le CCNE privilégie le débat public à un référendum en raison de l’extrême complexité du sujet, de l’importance des nuances qui existent derrière chaque possibilité analysée.

Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie peut organiser une conférence des parties prenantes et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pourrait quant à lui organiser une convention citoyenne.

Réserve (p. 38-40)

Signataires : Gilles Adda ; Michel Badré ; Sophie Crozier ; Annabel Desgrées du Loû ;

Emmanuel Didier ; Sylvie-Anne Goldberg ; Marion Muller-Colard ; Dominique Quinio

De notre point de vue, cette évolution ne pourrait être discutée qu’à la condition sine qua non qu’un certain nombre de prérequis soient d’ores et déjà effectifs :

– La connaissance, l’application et l’évaluation des nombreux dispositifs législatifs existants

– Un accès aux soins palliatifs et un accompagnement global et humain pour toute personne en fin de vie ;

– Une analyse précise des demandes d’aide active à mourir, afin d’évaluer leur motivation et leurs impacts sur les proches et sur l’ensemble de la société, en France mais aussi dans les pays où cette aide est autorisée.

Ces prérequis représentent la garantie qu’un recours à une aide active à mourir ne relève ni d’un défaut de soin ni d’un déficit de connaissance et préservent ainsi l’intégrité, du principe éthique fondamental du consentement libre et éclairé. Développer une aide active à mourir alors même que l’accès aux soins palliatifs est très inégalement réparti sur le territoire français et très insuffisant par rapport aux besoins laisse entrevoir la possibilité d’un recours à cette aide par défaut d’un accompagnement adapté.

En outre, nous souhaitons soulever plusieurs inquiétudes :

– Quel message enverrait une évolution législative à la société ?

– Quel message enverrait une telle évolution législative aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ?

– Quel message enverrait aujourd’hui une évolution législative au personnel soignant ? Dans le contexte de crise sanitaire majeure que nous connaissons et d’une crise de la vocation soignante et médicale, alors même que les personnels de santé témoignent d’une souffrance éthique inédite, il nous semble inapproprié de sembler prioriser cette évolution législative par rapport à l’urgence que requiert la situation alarmante de notre système de santé. En outre, pour de nombreux soignants, l’assistance au suicide et l’euthanasie correspondent à des actes contraires à la vocation et au sens du devoir médical et du soin, contradictoires avec le serment d’Hippocrate. La mise en place d’une aide active à mourir risquerait de représenter pour eux une abdication signifiant l’incapacité collective à prendre réellement en charge la fin de vie.

Réflexions de Jacques Faucher exposées à l’issue de cette présentation.

• Remarquons la priorité et le nombre de recommandations (14/20) concernant les soins palliatifs et l’accompagnement comparées aux 6 recommandations dans le cas d’un changement de la loi ! prérequis ? utopie 

• Soulignons les mises en garde et les conditions précises très restrictives :

            il ne s’agit pas d’« “aide active à mourir” pour tous » !

• Deux principes sont mis en avant : solidarité et autonomie. Que fait-on des principes de dignité, non maltraitance, bientraitance, respect, justice, sollicitude (care), responsabilité, compétence, etc. ?

• Comment la demande du patient et le pluralisme dans la société sont-ils pris en compte ?

• Qui décide en définitive ? Qui est compétent pour décider ? médecin ? infirmier ? psychologue ? famille ? personne malade ?

• Qui ferait quoi ? patient, médecin, infirmière, autre ?

• Où ? : USP, LISP, CHU, EHPAD, établissements de santé, domicile, ailleurs ?

• Vous avez dit : « procédures collégiales » ? Avec qui ?

            Dans nos établissements, combien existe-t-il de véritables procédures collégiales pluridisciplinaires ?

• Comment sont prises en compte les différentes temporalités des uns et des autres ?

• Comment sont pris en compte les suites et les deuils des différents acteurs : soignants ? familles ? autres ?

            Quel accompagnement ?

• Comment est réfléchi la tension Droits-liberté vs Droits-créance ?

• Comment distinguer éthique et loi ? Quand la loi est votée, l’éthique continue !

   Une attitude éthique de base : se taire, écouter, se parler ; je ne sais pas a priori ce qui est bon pour l’autre…

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