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CCNE Avis 139 relatif aux fins de vie : le contexte sociétal

Dans la première partie du texte de l’Avis, le CCNE présente les éléments du contexte sociétal :
– Des paradoxes de notre rapport contemporain à la mort
– Des évolutions sociétales et médicales
– Des évolutions législatives

Présentations synthétique par Bruno Larrose

PRÉSENTATION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Le CCNE introduit son Avis en souhaitant formuler deux volets de recommandations :

  • Le renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs
  • Les exigences éthiques incontournables en cas de dépénalisation de l’aide active à mourir.

Il considère qu’ « il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prise en compte ».

Comme pour ses autres travaux, le CCNE dit avoir mis l’accent sur la conciliation de deux principes fondamentaux :

  • Le devoir de solidarité envers les personnes les plus fragiles
  • Le respect de l’autonomie de la personne.

Il explique que l’Avis a pour vocation d’éclairer le débat citoyen, les pratiques des professionnels de santé et le législateur.

Il informe que cet avis a fait débat au sein de ses membres et que ce débat l’a amené à publier :

  • un avis majoritaire
  • une opinion différente portée par certains de ses membres.

Enfin, le CCNE indique que cet avis s’inscrit dans un contexte marqué par la crise sanitaire, la situation alarmante du système de santé et notamment de l’hôpital public, la pénurie et la souffrance des professionnels, des attentes sociales et sociétales de faire évoluer la législation sur la fin de vie.

Il termine le préambule par souligner la place des professionnels dans l’accompagnement de personnes atteintes de maladies graves et évoluées, ainsi que le devoir de solidarité envers elles.

On remarquera dans la rédaction du préambule cinq points :

  • Le souci de concilier entre solidarité ET autonomie
  • « la solidarité envers LES personnes », et « l’autonomie de LA personne »
  • « le devoir de solidarité » et « le respect de l’autonomie »
  • la dénomination de « opinion différente » là où on aurait pu s’attendre à voir écrit « avis minoritaire ».
  • la place des professionnels dans « l’accompagnement » de personnes atteintes de maladies graves, et le « devoir de solidarité » envers elles.

Dans la première partie du texte de l’Avis, le CCNE présente les éléments du contexte sociétal :

  • Des paradoxes de notre rapport contemporain à la mort
  • Des évolutions sociétales et médicales
  • Des évolutions législatives

I – Le contexte sociétal

Le CCNE évoque un contexte sociétal particulier :

  • Une mort omniprésente (journaux, médias, films, littérature, jeux vidéo), et une mort esquivée, déniée reniée…
  • Une culture de mise à distance de la mort, qualifiée de « thanatophobe » (injonctions à la beauté, la santé, la performance, la jeunesse…) qui « complexifie voire obscurcit l’abord de la fin de vie ».

Il constate que la fin de la vie n’est plus un temps essentiel de l’expérience humaine :

En même temps qu’’une perte des temps d’accompagnement et de rituels, pourtant essentiels pour faire face à la radicalité de la souffrance et de la mort, le temps de la fin de la vie s’est allongé, et cet allongement provoque ou s’accompagne d’une tentation de la mort « pressée », du sentiment d’une urgence à mourir.

Sur quels éléments de contexte s’appuie-t-il ? :

  • La longévité croissante des individus et le vieillissement de la population
  • Le développement des maladies chroniques
  • Une extension des situations de solitude et d’isolement social, en particulier chez les personnes âgées chez lesquelles « la mort sociale précède la mort physique qui de ce fait est souvent souhaitée »
  • La complexification de certaines situations de fin de vie[1]
  • Une tendance accrue à la médicalisation—surmédicalisation et « technicisation » de la fin de vie :
    • 1 décès sur 4 à domicile,
    • 1 sur 2 à l’Hôpital, souvent perçu comme un échec par les équipes médicales
    • En même temps : Le développement d’un fantasme sur le « bien mourir » ou la « bonne mort », alors dit-il, qu’aucune mort n’est « douce » car « elle demeure une épreuve physique et métaphysique que la médecine ne peut pas toujours atténuer ».
  • La crise du système de santé et l’impact sur la qualité et la sécurité des soins résultant du manque de personnels et de matériel, de l’extension des déserts médicaux, de l’organisation insuffisante des parcours de soins, de la non prise en compte du soin relationnel dans le financement de l’activité hospitalière et médico-sociale, …

Ces éléments ont contribué à « dévaloriser l’éthique du care (attention et prendre soin) au profit du cure dont la visée principale est de traiter pour guérir par la puissance technique ».

  • La crise COVID avec ses confinements, la restriction des visites, les conditions d’inhumation, a dégradé la qualité des fins de vie et a suscité une prise de conscience :
    • de la nécessité d’accompagner les personnes jusqu’à la fin de leur existence,
    • et de respecter notre devoir de non-abandon.

Dans ce contexte sociologique et sanitaire, le CCNE mentionne des mouvements d’évolutions de nos mentalités :

  • L’importance croissante accordée à l’individu, à l’autonomie psychique, à la modernité du corps, à l’indépendance fonctionnelle, à la santé, à la performance, a pour corrélat le sentiment induit d’impuissance et de devenir un fardeau pour autrui.
  • Il existe une demande sociétale plus forte d’un droit à choisir sa mort, de l’aide active à mourir, émanant de « la revendication du droit à la liberté de disposer de soi-même et de définir soi-même les limites d’une vie digne » (mouvements associatifs, échos de plus en plus favorables dans la population, des propositions de loi)
  • Le renforcement des droits des malades à choisir pour eux-mêmes les soins ou le refus de soin a été acté par la Loi 4 mars 2002
  • À l’Étranger : évolution des législations dans le sens d’une légalisation ou d’une dépénalisation de l’assistance au suicide ou de l’euthanasie (Autriche, États Unis, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Espagne, Canada, Australie, Nouvelle Zélande et des projets en Italie, Portugal, Irlande).

Ces différentes évolutions, constate-t-il, ont amené le législateur en prendre en compte « un droit à choisir les circonstances et le temps de sa mort » qui porte sur :

  • « Une demande de maîtrise de sa vie jusqu’à sa fin »
    • « Une demande de prévention de la souffrance et des situations de vulnérabilité extrême ».

>>2021 : Auto-saisine du CCNE le 21 mai 2021 pour approfondir certains enjeux éthiques relatifs aux :

  • Modalités d’amélioration de la mise en œuvre des dispositions législatives et règlementaires existantes
  • Modalités de prise en charge des situations complexes de personne dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais qui sont néanmoins confrontées au caractère inéluctable de la mort prochaine, soit du fait d’une maladie grave, évolutive et incurable, soit du fait d’une décision d’arrêt de traitement de soutiens vitaux.

II – Le contexte réflexif et législatif antérieur

  1. Les travaux éthiques antérieurs

Le CCNE rappelle avoir consacré de nombreux travaux sur la fin de vie depuis sa création (1983) :

  • 2000 : Avis 63 « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie »
  • 2013 : Avis 121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir »
  • 2018 : Avis 128 « Enjeux éthiques du vieillissement » publié à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique

Il cite les autres travaux qui ont nourri la législation française :

  • 2008 : le rapport d’information et d’évaluation de la loi 2005 (N°1287) par la mission parlementaire présidée par J. Léonetti
  •  2012 : le rapport « Penser solidairement la vie », Pr Didier Sicard
  • 2018 : Avis du Comité citoyen exprimé lors des États généraux de la bioéthique
  • 2018 : Avis du Conseil économique et social « Fin de vie : la France à l’heure des choix, P-A Gailly
  • Les différentes enquêtes de la SFAP.

Dans l’ensemble de ses travaux, le CCNE dit avoir construit ses réflexions éthiques sur la recherche de la juste articulation des principes de liberté, de dignité, d’équité, de solidarité et d’autonomie.

Aujourd’hui, pour le CCNE, le dilemme éthique ne porte pas sur la dignité : « concept piégeux » et « flou » plus « invocatoire » et « instrumentalisé » que précis (E. Fiat).

L’Avis 129 de 2018 soulignait déjà que « toute personne est digne », quels que soient son statut, sa condition, son degré d’indépendance ou d’autodétermination.

Pour le CCNE, la réflexion éthique d’aujourd’hui concerne la tension entre « autonomie » et « solidarité » :

  • Autonomie : « la question de la liberté à déterminer soi-même son degré de tolérance à la souffrance, et les contours de son destin personnel »
  • Solidarité : « notre devoir de solidarité à l’égard des personnes en fin de vie ».

Il constate que deux expressions de la fraternité sont mises en tension :

  • Une fraternité qui s’exprime dans l’aide active à mourir
  • Une fraternité dans l’aide à vivre jusqu’à la mort dans des conditions permettant le soulagement des souffrances et le respect de l’autonomie des personnes

Face à la grande vulnérabilité, le CCNE souligne que « la frontière est ténue entre la solidarité et l’abandon ». Il s’interroge :

  • Quelles exigences éthiques doivent guider l’accompagnement des personnes en fin de vie ?
  • Comment respecter la liberté individuelle de fixer pour soi-même les limites de la souffrance physique et psychique, sans rien abandonner de l’exigence médicale, sociale et éthique pour soulager et répondre à la douleur et à la détresse par des soins, un accompagnement et une sollicitude ajustés ?

Il attire notre attention sur la considération que l’on doit accorder à l’autonomie :

  • « La demande de mourir peut traduire une véritable aspiration à l’émancipation et à l’autodétermination » (souligné par nous : à qui s’adresse particulièrement cette phrase ?).
  • Mais la référence à l’autonomie peut aussi exprimer d’autres chose : « la peur de la mort, de mourir, de mal mourir, de souffrir et de faire souffrir l’entourage, de mal vieillir (isolement, solitude, invalidité, dépendance, absence de soins palliatifs) »

Elle peut traduire « un syndrome anxiodépressif dans une situation où les pertes fonctionnelles et d’autonomie se succèdent, engendrant une perte de l’estime de soi ».

Il convient de souligner que l’angoisse de la mort ne sera jamais apaisée par la seule médecine, et que « les questions éthiques ne seront jamais résolues par la loi » (Avis 129, 2018).

La valorisation de l’autonomie comporte donc une ambivalence :

  • Certes, « la valorisation de l’intérêt des patients, de l’écoute des besoins » est bénéfique
  • Mais elle comporte « un risque d’abandon, de désinvestissement, de déliaison » qui amènerait à méconnaitre « la part incompressible de sujétion de la souffrance ».
  • Le renforcement des droits des patients

Les lois sur la fin de vie ont radicalement modifié l’approche de la fin de vie en induisant des notions fondamentales :

  • 1999 : droit à l’accès aux soins palliatifs en établissement de santé et médico-sociaux
  • 2002 : information et consentement obligatoire du patient. Droit au refus de soins. Changement de paradigme dans la relation médecin-malade en considérant le malade comme l’acteur principal de sa santé
  • 2005, Loi Léonetti : interdiction de l’obstination déraisonnable (anciennement dénommé “acharnement thérapeutique”), proportion des soins, arrêt des traitements, prise en charge de la douleur
  • 2016, Loi Claeys-Léonetti : directives anticipées contraignantes pour le médecin, désignation personne de confiance, procédure collégiale avant toute décision d’arrêt des traitements, droit à la sédation profonde et continue avec arrêt de tout traitement jusqu’au décès pour les personnes souffrant d’affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et subissant une souffrance réfractaire aux traitements

Le CCNE observe une évolution positive du droit des personnes en fin de vie. Mais il constate aussi un décalage préjudiciable pour les personnes entre le droit et son application, ainsi qu’une méconnaissance des droits ou de leur mise en œuvre.

III – Les problématiques éthiques soulevées lors des situations de fin de vie

  1. Rappel des valeurs :

L’ensemble des avis précédents insiste sur la nécessité d’améliorer la qualité de l’attention aux personnes les plus fragiles.

La menace la plus répandue est celle de l’indifférence : Les souffrances et les demandes d’aide active à mourir invitent à nous opposer fermement à la banalisation de l’indifférence, à poser un interdit de l’indifférence :

« La résignation face à la souffrance des personnes en fin de vie n’est pas tolérable ».

« Toute loi ou pratique qui amoindrirait le soin relationnel ou le devoir d’accompagnement ne serait pas admissible ».

« De même que toute évolution qui laisserait penser que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ou sauvées serait inacceptable ».

Le respect de la personne humaine en fin de vie ne peut être le résultat d’une démarche idéologique : aucune vérité systématique n’est tangible ; la recherche de l’accompagnement le plus juste nécessite à chaque fois le courage et l’inconfort d’un face-à-face singulier avec le patient, et à chaque fois une réponse unique.

Points de vigilance réaffirmés :

  • La médecine et le système de santé doivent éviter d’engager des traitements ou des investigations susceptibles de créer des nouvelles formes de fin de vie marques par une vulnérabilité extrême (ex : réanimations)
  • La désescalade thérapeutique contribue à la prévention des situations de vulnérabilité ou de fin de vie difficiles et permet d’éviter que la médecin ne les génère. Apprendre à ne pas faire (obstination déraisonnable)
  • La volonté de la personne malade relève de sa liberté de décision (4 mars 2002). Tout refus de traitement doit être profondément analysé et respecté (2005)

Deux enjeux :

  • Renforcer le dispositif législatif existant
  • Considérer les attentes de personnes souffrant de maladies graves et incurables, au pronostic engagé à moyen terme, et ne relevant pas de la loi actuelle
  • Renforcer la mise en œuvre des dispositions législatives et réglementaires actuelles

• Reconnaissance universitaire et financière insuffisante des soins palliatifs

Le CCNE, à l’instar du Conseil d’État, de l’IGAS, et du Conseil économique, social et environnemental déplore :

  • Les inégalités d’accès aux soins palliatifs et la modestie des moyens engagés pour leur développement.
  • L’absence ou l’insuffisance de culture palliative intégrée à la pratique des professionnels de santé.
  • L’insuffisance de l’enseignement et de la recherche qui pénalise une culture palliative solide et approfondie. « Cet enseignement devrait par ailleurs s’insérer dans une démarche réflexive, épistémologique visant à développer l’analyse critique et ne se limitant pas à l’acquisition d’un savoir issu de la science ».
  • En milieu hospitalier, malgré une cotation par la T2A, d’autres facteurs contribuent à les marginaliser.
  • « En milieu médico-social et en médecine libérale : aucun tarif n’est propre aux soins palliatifs. Une part essentielle du soin est sous-valorisée », notamment : les composantes relationnelles du soin, l’accompagnement des patients à mesure que la maladie évolue et que se pose la question de la fin de vie et de la mort, le respect des bonnes pratiques…

Peu développés, peu investis, peu reconnus, la culture palliative ne diffuse pas suffisamment chez les professionnels de santé.

• Renforcer le rôle effectif de la personne de confiance

Le rôle et la place de la personne de confiance doivent être davantage reconnus et décisifs (Cf. Avis 136, 2021) : témoigne de la volonté du patient, aide à la décision médicale.

• Valoriser les directives anticipées

La loi 2016 rend les directives anticipées contraignantes. Elles s’imposent à tout autre avis (médecin, personne confiance, proches).

Elles sont trop faiblement appropriées par les citoyens français.

Des pistes d’amélioration pour leur rédaction et leur co-construction mériteraient d’être mises en œuvre :

  • Notamment, les professionnels de santé devraient pouvoir disposer de temps pour aider le patient à leur rédaction et le conforter dans la confiance que ses volontés seront respectées.
  • Trop souvent rédigées sur papier, elles pourraient exister de manière dématérialisée via le DMP.

• Respecter de la dimension délibérative de la procédure collégiale en cas de limitation ou d’arrêt de traitement

Ce processus exige d’associer des compétences plurielles. Il nécessite du temps et de la disponibilité, et d’une attention particulière sur le plan de la réflexion.

• Déployer l’accès à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, à domicile et dans les établissements médico-sociaux

La loi autorise la sédation profonde et continue à la demande du patient, au domicile, à l’hôpital ou en ESSMS. « Des dispositions réglementaires récentes (juin 2021) ont été prises pour faciliter la mise en œuvre de cet accompagnement pharmacologique et humain ».

Mais l’application de la « sédation profonde et continue » peine à se mettre en place sur le terrain. Elle demeure encore trop variable selon les structures, la densité médicale, et les ressources humaines en présence.

Néanmoins, l’ensemble de ces mesures ne répondent pas à l’étendue des problématiques de la fin de vie :

aux situations des personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires dont le pronostic vital est engagé à moyen terme et non plus à court terme.


[1] Déjà évoqué dans l’Avis 121 de juin 2013

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