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PMA pour toutes : qu’est-ce qu’un père ?

Bruno LARROSE

Position du problème

Le projet de loi sur l’extension de la PMA à toutes les femmes, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur statut matrimonial, a fait surgir un large débat scientifique, technique, social et militant sur la place et le rôle du père dans l’intérêt et le développement de l’enfant.

L’obtention de nouveaux droits à la maternité —pour les femmes homosexuelles et célibataires— vise à réduire des inégalités que les associations militantes ont su mettre en évidence[1] et combattre :

  • Protection à l’identique des enfants, quelle que soit la composition de leur famille ou leur mode de conception (PMA, GPA)
  • Autonomie des femmes en matière de droits sexuels et reproductifs afin que toutes celles qui le souhaitent puissent fonder une famille
  • Réduction des inégalités d’accès à l’enfant liées à l’orientation sexuelle des couples
  • Réduction des inégalités financières d’accès à la PMA que seules les plus aisées pouvaient s’offrir jusque-là hors de France
  • Abolition du critère de pathologie médicale jugé discriminant
  • Réduction des risques issus de pratiques non sécurisées (donneurs rencontrés sur internet).

Cependant, l’accès à la maternité pour toutes, désormais indépendant de la différence des sexes et du rapport sexuel, engendre des bouleversements culturels et anthropologiques importants :

  • Avec la technicité scientifique et médicale, les composantes de la sexualité (l’amour, la conjugalité, la procréation, la temporalité) se dissocient davantage encore, et la nouvelle loi institue et accentue cette dissociation en donnant lieu à de nouveaux modèles de parentalité et de filiation
  • La filiation s’éloigne encore plus des lois de la nature et des repères culturels traditionnels qui posaient l’unité de ces composantes comme vertueuse et exemplaire d’une vie accomplie d’homme et de femme.
  • Le Conseil national du Barreau auditionné au CCNE pose ainsi le nouveau contexte : « Avec l’adoption, la PMA ou la GPA, on peut aujourd’hui devenir parent sans procréer, procréer sans engendrer, engendrer sans procréer »[2].

Concomitamment, d’autres voix et courants de pensée alertent ou s’élèvent contre les risques liés à l’évolution de ces nouveaux droits et de ces pratiques de procréation :

  • L’Académie de médecine : l’accès à « L’assistance médicale à la procréation avec donneur (AMPD) prive volontairement l’enfant de la relation structurante avec deux adultes de sexe différent ».
  • Les courants religieux évoquent les risques psychologiques (pour l’enfant) et anthropologiques (pour la société) :
    • « La suppression juridique de la généalogie paternelle porterait atteinte au bien de l’enfant qui serait privé de sa référence à une double filiation ».
    • « Cela encouragerait socialement la diminution, voire l’éviction des responsabilités du père »
    • « Pourrions-nous accepter collectivement que l’homme soit considéré comme un simple fournisseur de matériaux génétiques et que la procréation humaine s’apparente ainsi à une fabrication ? » (Conférence des Évêques de France)
  • D’autres alertent sur l’évolution d’une médecine curative vers une médecine du désir, avec ses risques de marchandisation du corps et d’eugénisme.

Chez les psy (psychiatres, pédopsychiatres, psychologues, psychanalystes), on constate que les approches sont divergentes.

Certains praticiens évoquent la banalisation des souffrances de l’enfant ou des troubles relationnels des futures mères :

  • Ils évoquent : des femmes et mères toute-puissantes, la culpabilité de la mère, l’enfant idéal, l’enfant occupant la place du père, la relation fusionnelle (Myriam Szejer[3]), le déni ou le rejet de la différence des sexes
  • D’autres (C. Dejours[4]) vont jusqu’à prédire à l’enfant un destin psychique potentiellement grave : névrose, dépression, psychose.

Mais pour d’autres, rien ne permet de justifier un risque spécifique :

  • Les études épidémiologiques et la clinique montrent que la santé mentale des enfants nés de PMA avec donneurs anonymes est identique à celle des enfants nés en milieu familial ordinaire
  • Idem pour les enfants élevés dans des couples homoparentaux
  • G. Delaisi de Perceval[5] déclare : « Il n’existe pas de définition du bon parent, et si la fonction paternelle est indispensable, rien ne dit qu’elle doit être assurée par un homme ».

Pour d’autres intellectuels : les psychanalystes devront désormais revoir leur modélisation théorique, et la prétention de leurs concepts-clés à se considérer comme des invariants : Métaphore paternelle, Phallus, désir de la mère, Nom-du-père, (H. Glevarec[6]).

Enfin, je n’évoquerai pas les critiques simplistes qui considèrent que la psychanalyse est une forfaiture, que son fondateur était un détraqué, ou que sa théorie de la différence des sexes et de l’orientation sexuelle est ringarde ou machiste…

Mon questionnement portera donc sur ce qu’on appelle la fonction paternelle, avec un lot de questions :

  • La fonction paternelle peut-elle être assurée par un autre que le père ?
  • Cet autre, peut-il être une femme ?
  • L’égalité des droits porte-t-elle en germe l’effacement de la différence des sexes ?
  • Le père est-il une variable d’ajustement pour la mère et l’enfant ?

Il me semble que, dans le débat public, les confusions, les amalgames, les généralisations et les approximations vont bon train. C’est donc pour tenter de préciser la complexité de ces données que j’ai souhaité présenter cette question : finalement, qu’est-ce qu’un père ?

Tout d’abord, ne faut-il pas distinguer « le père » du « papa » ? La « fonction » paternelle de la « responsabilité » paternelle ?

Le père : c’est toute une histoire

Le père et la paternité dans l’histoire de l’Occident ont toujours eu une place prépondérante dans l’organisation sociale et familiale : « Zeus était appelé Père des Dieux ; Père des hommes, Père de toutes choses, Père du monde, Père tout puissant » [7].

Avec le christianisme, c’est ensuite un père créateur du ciel et de la terre, qui nous a envoyé son fils fait homme, à travers une parentalité assez étrange, emprunte d’un mélange de divinité, d’humanité et de mystère. Ce fils, né on ne sait trop comment, ira même jusqu’à annoncer à ses deux parents interloqués qu’il doit vaquer « aux affaires de son père » (Luc, 2).

Dans leurs versions profanes, évolutionnistes ou mythologiques, Darwin et Freud se rejoignent pour nous livrer l’histoire d’une horde primitive dans laquelle la toute-puissance du père ne peut conduire qu’à son meurtre, et que ce meurtre débouche sur une société égalitaire organisée autour de lois symboliques (totems et tabous / valeurs et interdits).

Dans notre Occident en tout cas, le père est cette figure totémique qui ne cesse d’être mise à mort, au nom de l’égale jouissance et de l’égale liberté de ses femmes, de ses fils et de ses filles. Mais c’est aussi avec la mort du père que la vie se complexifie, car les fils deviennent père à leur tour et doivent s’organiser socialement pour garantir la continuité de l’espèce et une place à chacun et à chacune.

Dans notre histoire occidentale récente, la condition féminine et la puissance paternelle ont fortement évolué pour tendre, toujours plus, vers une égale dignité ; et au cours de cette évolution, la « puissance paternelle » a cédé sa place à la notion de « bon père de famille », puis à « l’autorité parentale partagée ».

Aujourd’hui, la puissance masculine et la virilité sont devenues des valeurs suspectes, et l’on se moque trop facilement et trop rapidement du malaise engendré chez les hommes par cette évolution de l’autonomie des femmes. Mais après tout, puisqu’il n’est plus nécessaire d’avoir des muscles pour aller à la chasse, faire la guerre et protéger les siens, que reste-t-il d’autre à l’homme que de devenir encore un peu plus civilisé pour répondre aux attentes des femmes ?

La puissance virile est régulièrement raillée, déconsidérée, assimilée à la violence, à la bêtise, à la goujaterie et au machisme. Je me souviens qu’une enquête des années 90 sur l’image paternelle des nouveaux pères chez les français indiquait que nous étions passés des modèles virils de Jean Gabin ou de Lino Ventura à celui plus romantique et plaintif d’Alain Souchon (« Allo maman bobo », « j’ai dix ans »).

La virilité a dû en rabattre pour se faire plus conforme aux sensibilités des femmes, … dans les codes du politiquement correct en tout cas, car l’engouement massif et récent des femmes pour les matchs de rugby, nous montre comment elles savent se parer et se grimer aux couleurs de leurs guerriers idolâtrés, pour les soutenir dans le combat contre leurs adversaires du jour. Chasser le naturel n’est finalement pas si facile…

Le père dans la famille

Aujourd’hui le terme de père recouvre différentes réalités :

  • Le père biologique, géniteur, celui du spermatozoïde
  • Le père juridiquement désigné par le Droit sur le livret d’état civil
  • Le père par adoption, dont le statut est également juridique
  • Le papa, celui que l’enfant appelle ainsi
  • Le père social : le beau-père
  • Le père de l’enfant et le père pour l’enfant (du point de vue de l’enfant)

Ces différentes réalités jettent un trouble, car il est difficile de répondre à la question : quel est le « vrai » du père ?

Derrière ces désignations, je distinguerai deux grandes dimensions de la paternité :

  • Je distinguerai une dimension de rôle social, ou « socio-affectif » que l’on pourrait qualifier de place du « papa » qui assure le holding et le handling de Winnicott ; c’est la manière dont le père, comme la mère, endigue l’excitation de leur nouveau-né, le rassure, le protège, répond à ses besoins élémentaires pour assurer sa santé, sa sécurité, son bien-être.
  • Je distinguerai d’autre part une dimension généalogique, qui précède l’avènement de l’enfant, et qui nous permet de dire que, c’est l’enfant qui fait le père : cette dimension généalogique articule la naissance, avec la transmission du passé, la transmission de la lignée historique paternelle, et cette articulation confère au père une autorité reconnue sur l’enfant du fait que l’enfant est le produit biologique du père.

Je voudrais préciser ces deux dimensions : dans le holding et le handling, père ou mère, homme ou femme sont finalement assimilables et interchangeables l’un à l’autre. Et même si les sociologues nous montrent que les tâches domestiques et éducatives sont encore réparties de manière inégale et sont encore très genrées, ces tâches sont partageables indistinctement, et constituent la source de ce qu’on appelle l’attachement. L’enfant s’attache —généralement— à ceux qui s’occupent de lui. Le père peut donc être social, et les figures du père peuvent être multiples entre le père de naissance et le ou les beaux-pères. « Le père pour l’enfant, c’est celui qui est là, (…) et qui lui tend les bras » (S. Lama[8]). Dans cette dimension de la figure du père, le père assure en quelque sorte une fonction maternante : Il est l’auxiliaire du Moi de la mère dont l’enfant a besoin.

Mais alors se pose une question : quelle place a la différence des sexes dans le caractère interchangeable des rôles ?

Pour reprendre une question de mon Professeur de Psychologie A. Laflaquière : si on voit bien ce que peut désigner le verbe « materner », en revanche, qu’est-ce que serait « paterner » ?

On aborde ici le versant psychique de la généalogie, celui d’une « autre scène » qui échappe aux enquêtes médiatiques et sociologiques. C’est la dimension de l’origine de la vie, de l’alliance conjugale des parents et de la filiation, auxquelles s’arrime la « fonction » paternelle : c’est la question que pose l’enfant à ses parents : « d’où je viens ? Pourquoi suis-je né ? J’étais où avant de naître ? ». Voire: « Qui es-tu pour te mêler de ma vie ? ». C’est aussi la question de l’autorité sur l’enfant et notamment de la légitimité de cette autorité : le pèren’est pas n’importe quel adulte.

Cette « autre scène » a une incidence importante sur le développement psychique de l’enfant :

  • Je peux évoquer cet enfant adopté par un couple sans enfant, aisé et bienveillant, à qui l’enfant sans difficulté cognitive mais en souffrance, puis en rejet de ses parents adoptifs leur avait lancé : « vous n’êtes pas mes parents. C’est pour vous que vous m’avez adopté, pas pour moi ; vous n’avez rien à me dire »

Mais je peux aussi évoquer cet enfant africain reconnaissant d’avoir été adopté par ses parents blancs après qu’ils en aient fait naître trois.

  • Je peux évoquer ce couple qui était venu consulter sur les conseils de l’école car leur petite fille était peu éveillée et en difficulté d’apprentissage. Ils soupçonnaient une déficience intellectuelle que je n’avais pas remarquée. Ils m’ont alors confié qu’elle était née d’une IAD, et ils se demandaient si sa débilité ne venait pas du donneur. Leur petite fille n’était pas au courant de son origine ni de l’infertilité de son père, car pour sa mère, son mari était le « meilleur des pères ». L’inavouable secret couvrait un non-dit de souffrance chez les parents qui ne leur permettait pas d’accompagner leur fillette dans ses difficultés. Ils ne sont pas revenus après cette première consultation. D’autres études sur les enfants nés de PMAD montrent que la levée du secret de la conception est une difficulté intrafamiliale récurrente.
  • Je me souviens, qu’en son temps, j’avais réalisé dans le cadre de mon DEA, une étude sur le lien entre la gravité des délits et la place du père chez les jeunes détenus de la Maison d’arrêt de Gradignan. C’était une époque où la psychologie devait devenir scientifique et quitter les spéculations cliniques et littéraires pour établir la démonstration de la preuve. Passé sous les fourches caudines de la science, à l’aide d’outils d’enquête et de traitements statistiques, j’avais quand même réussi à confirmer « objectivement » mon intuition clinique, à savoir que la gravité du délit était en lien avec une carence de la référence paternelle, et que cette carence avait un impact sur l’accès à la loi et aux interdits.
  • Je peux évoquer cette jeune femme engagée dans un processus de fécondation in vitro (FIV) avec son mari. Leur sexualité était décrite comme très fréquente et satisfaisante, « malgré les années de stimulation hormonale et de rapports sexuels programmés » qui souvent éreintent le désir. Son désir d’enfant a pris une tournure particulière quand elle est passée à la FIV. Elle évoquait en séance la lourdeur d’aller seule aux rendez-vous médicaux, les déceptions liés aux échecs, et aussi le fait de ne pas aimer la médecin qui réalisait la fécondation. Elle décrivait celle-ci comme froide, distante, travaillant à la chaine et portant plus d’importance à ses échecs qu’au vécu de sa patiente. Elle aurait préféré continuer avec une autre médecin qui l’avait reçue pendant les congés de la première, mais elle n’a eu ni le choix, ni le courage de formuler son choix. Dans cette situation, on peut relever :
    • La solitude et l’énergie psychique nécessaire pour supporter l’alternance de l’espoir et de la déception
    • Le mari, bien qu’impliqué et soutenant, ne portait pas pleinement sa femme en la laissant aller seule aux rendez-vous médicaux
    • L’importance accordée à la place du médecin : les échecs étaient devenus les échecs du médecin avant d’être ceux de sa patiente : la jouissance du médecin est venue s’immiscer insidieusement dans le projet sexuel et procréatif du couple.
  • Je peux évoquer la difficulté des beaux-pères à exercer une autorité légitime sur l’enfant de leur compagne. Leur place dans les familles recomposées n’est pas évidente. Vivant au quotidien avec les enfants et leur mère, le beau-père est inévitablement amené à intervenir autoritairement auprès de l’enfant. Cette intervention n’est pas sans risque : l’enfant peut ne pas apprécier la légitimité de l’intervention ; la mère peut ne pas apprécier que son homme intervienne « ainsi » auprès de son enfant : « qu’il intervienne, oui, bien sûr, c’est nécessaire, mais pas comme ça ! ».  Sous-entendu : « Il ne t’appartient pas. Ce n’est pas avec toi que j’ai conçu cet enfant ». Sans compter que le père géniteur peut aussi contester au beau-père sa légitimité dans l’éducation quotidienne. La légitimité paternelle du beau-père est fragile car sa légitimité généalogique est faible. S’occuper d’un enfant qui n’est pas le sien l’expose à ne pas pouvoir gagner l’affection de l’enfant, voire à la perdre, et l’expose par la suite au risque de séparation d’avec sa mère.

Malgré sa légitimité généalogique, la place de père expose à la fragilité celui qui l’occupe. En effet, au sein des fonctions de holding et de handling, il arrive un jour où il faut cesser de satisfaire les demandes de l’enfant… Car, profitant de l’amour maternel pour devenir tyrannique, entrant en concurrence avec ses frères, ses sœurs ou ses parents, tenté par des conduites préoccupantes…, le jour vient où il faut lui signifier des limites, des interdits, des refus. Dire non et maintenir ce « non » contre vents et marées.

Est-ce l’apanage du père de dire non ? Non bien sûr, une mère peut le faire, un tiers peut aussi assurer ce rôle, un homme ou une femme, un grand-parent… Mais le père biologique de l’enfant détient une autorité comme nul autre. L’enfant est de sa chair et cet arrimage au réel lui donne la force et la légitimité pour tenir ensemble les deux autres composantes de la fonction paternelle :

  • La composante imaginaire : c’est l’image que l’enfant a de son « papa », le papa du vivre-ensemble, alternativement gentil ou méchant, qui supporte ceci et pas cela, qui a telle qualité et tel défaut… et qui pourrait être bien mieux s’il était le voisin ou le père du copain, plutôt Gabin ou plutôt Souchon. Mais cet imaginaire est insuffisant pour définir « l’être-père ». Philippe Julien[9] disait : se poser la question de l’être-père « c’est buter sur une impasse (…) qui voue l’être-père au ridicule, à la déconvenue ou à l’imposture ». « Père fouettard ou père bonasse, l’image ne prendra corps, ne fera effet pour l’enfant, que si elle vient se loger dans la place vide du père symbolique ».
  • La composante symbolique : c’est le père de la loi. Quelle loi ? Non pas la sienne, mais la loi de la séparation de l’enfant d’avec la mère, qui permet d’accéder à l’autonomie et à la responsabilité de sujet. C’est le père qui, de par sa place dans le désir de la mère, transmet et supporte —sans trop de crainte, ni trop de culpabilité— les deux interdits anthropologiques : l’interdit de la jouissance incestueuse, et l’interdit du parricide, c’est à dire l’interdit du meurtre de celui qui prive l’enfant de la jouissance incestueuse.

Cette fonction symbolique du père tient à la mère, et plus particulièrement au fait qu’« il y ait un manque en la mère et que ce manque ne soit pas tout entier tourné vers lui l’enfant, mais concerne un tiers ». « Il n’y a de père que nommé par la mère (…). Ce n’est pas affaire de démonstration, mais de crédit fait à la parole » [10].

« C’est de la mère que s’engendre une place paternelle autre que celle de l’enfant. Il faut d’abord que cette place existe dans le désir de la mère pour qu’un homme puisse l’occuper. Si cette place est forclose en elle, elle le sera pour l’enfant, et ainsi, le meilleur des hommes pourra dire les meilleures paroles du monde à son fils ou sa fille, celles-ci resteront sans effet et glisseront sur lui ou sur elle comme sur les plumes d’un canard ».

Pour Philippe Julien, c’est parce que le père habite physiquement cette place créée par le manque en la mère que l’enfant peut investir l’image paternelle. Le fils ou la fille « l’investit alors de grandeur, de puissance et de force avec ce vœu : qu’il fasse le poids à côté de la mère », car la mère n’est pas seulement ni toujours, comme on veut nous le faire croire, le lieu du “beautifull care”, de la relation idéale ou « du paradis désiré. Elle est aussi (pour l’enfant) le lieu du caprice et de l’angoisse »[11] destabilisante : « que veut-elle ? ».

Le vrai « du père n’est ni l’homme qui se suffit à lui-même en sa perfection et se donne en modèle, ni à l’inverse celui qui demande à ses enfants de combler ses propres manques. Le père est le représentant d’une loi qu’il ne peut soutenir que parce qu’il n’en est ni le maître ni le législateur ». Il est choisi par une femme pour occuper cette place « devant » ces enfants. Relevons le mot de Philippe Julien : la fonction du père est de se tenir « devant » et non pas “avec”, ni “pour”, ni “à côté”. En se tenant devant les enfants, le père symbolique empêche la tentation du retour vers la mère. Il sépare l’enfant et la mère en “inter-disant” la relation fusionnelle, et indique la voie que doit prendre le pulsionnel : le destin de l’enfant n’est pas de combler les manques de jouissance ou les angoisses de son père ou de sa mère, ni de réparer leurs blessures antérieures. Le destin d’un enfant est de « quitter son père et sa mère »[12], s’en détourner, pour passer de l’être humain à la vie sociale, construire de nouvelles alliances et prendre sa place dans la société.

La différence des sexes

Un autre enjeu de la présence du père dans le développement de l’enfant est sa part dans la construction de son identité de genre et de son orientation sexuelle : en effet, peut-on concevoir la construction de l’identité sans identification ?

Assumer la différence des sexes nécessite tout un travail psychique, et la clinique psychanalytique nous permet de saisir comment l’identité et l’orientation sexuelles de l’enfant se nourrissent et s’étayent à partir des relations parentales.

La découverte de la différence anatomique des sexes crée chez l’enfant un nouveau pôle d’excitation et de curiosité. Cette « curiosité » est un enjeu psychique essentiel du développement du petit garçon et de la petite fille qui s’interrogent sur leurs propres organes génitaux… Toutes ces zones font l’objet de nouvelles investigations, de spéculations imaginaires, et de théories sexuelles infantiles sur les raisons de l’absence et de la présence de pénis et de vagin, sur la manière de faire des enfants, sur le coït…

Pour dire les choses rapidement : de par sa visibilité, le pénis du garçon et la force de son érection totémique deviennent un enjeu majeur du développement des enfants, et une source d’angoisses distinctes chez le garçon et chez la fille. Chaque enfant, selon son sexe, va ainsi construire ses propres théories imaginaires pour annuler la perspective du manque et se conforter dans l’idée que chacun est doté d’un sexe et de pouvoirs dont l’autre sexe est exclu : aux garçons le pénis, aux filles la grossesse…

Puis il faudra encore aller au-delà des apparats narcissiques du masculin et du féminin pour se dire et se vivre homme ou femme : Il faudra assimiler le choc de l’altérité psychique que représentent la différence anatomique d’entre les sexes et la différence des jouissances.

En attendant le moment où l’adolescente et l’adolescent seront prêts à rencontrer charnellement une personne de l’autre sexe, la vue, l’odeur, le toucher des organes génitaux, le désir de pénétrer et celui d’être pénétrée raviveront selon l’équation personnelle de chacun : la fierté, l’angoisse, l’horreur, la castration, l’inégalité, l’acceptation ou le déni de l’absence de pénis, l’activité et la passivité, la dépréciation et le mépris, la culpabilité, l’ambivalence inconsciente liée à la nécessité de se détacher du parent et le vœu de lui rester fidèle.

… Tout un ensemble d’affects et de mécanismes psychiques engendrés par le roc biologique de la différence anatomique d’entre les sexes.

Sur cette autre scène psychique du sexe, sur laquelle homme et femme se présentent mâle et femelle, on est bien loin de l’amour qui préside au beau projet océanique de faire naître un enfant. Mais il faut certainement l’amour ou le fantasme (ou les deux) pour supporter le côté agressif du rapport sexuel, et dépasser la conception infantile et sadique du coït, dans laquelle « la partie la plus forte fait subir (son excitation sexuelle) avec violence à la plus faible »[13].

À partir des menaces que peut susciter la différence des sexes, on peut aussi saisir combien un désir d’enfant via l’artifice de la PMA, peut permettre de faire l’économie des charges affectives et menaçantes pour le Moi des futurs parents.

Une fonction paternelle déconnectée de la reproduction

Je viens de développer une réflexion qui s’appuie sur le lien consubstanciel qui unit charnellement l’enfant à son père.

Mais ne concevoir la fonction paternelle qu’à partir de sa consubstancialité, n’est-ce pas encore rester dans la caverne de l’héritage ? N’est-ce pas encore se référer à une éthique genrée, paternaliste, virilo-centrée que justement contestent celles et ceux qui veulent s’en affranchir ? Si nous voulons bien entendre cette contestation et l’associer avec d’autres éléments que nous connaissons déjà, que pouvons-nous dire ?

La « loi du père », n’est-ce pas finalement, celle qui invite à accéder à l’autonomie et à la liberté, celle qui permet de devenir « sujet de désir » en s’affranchissant « des pesanteurs, des contraintes du cosmos, de la race[14] » ou du genre ? Le théologien J. Moingt attirait notre attention en relevant que « les évangiles montrent Dieu dans sa relation au Christ en posture de père et très peu de géniteur ». Il nous indique que les textes chrétiens mettent en avant une relation au père déconnectée de la procréation, et s’étonne que la pensée occidentale ait choisi de valoriser l’inverse, en réduisant la « relation de paternité » à la procréation.

Autre source d’étonnement : tout, dans les textes chrétiens comme dans les textes de la psychanalyse, nous invite à considérer que le père est déjà mort, mais avons-nous vraiment saisi l’importance de cette assertion ? On nous dit qu’il est mort et on s’en amuse même entre nous avec humour. Mais, comme des enfants, on se crispe aujourd’hui sur celui qu’il faut sauver et honorer tout en reconnaissant l’intérêt qu’il soit mort… S’agit-il d’une ambivalence ou de l’inter-section de deux réalités antropologiques ? Ambivalence dans le fait de vouloir tuer celui qu’on aime, ou intersection entre « le papa » et « le père » ? Sans doute les deux à la fois, ambivalence et inter-section, ce qui nous amène à penser que :

La fonction paternelle ne passe sans doute pas exclusivement par le père de l’enfant.

Revenons à cette mort du père : qu’il s’agisse du vieux mâle de la horde primitive, d’Abraham, du dieu chrétien, ou du roi de France… l’Homme s’est affranchi des contraintes de la nature et de l’obscurantisme pour se donner la loi. De cet affranchissement a surgi un ordre symbolique fondé sur l’échange entre frères, ordre symbolique dans lequel chacun s’inscrit par la « parole » et l’échange dans le respect des « interdits et des valeurs » qui organisent de manière continuelle notre manière de vivre ensemble :

La parole est ce par quoi se transmettent les interdits et les valeurs.

La morale (le bien) et l’éthique (l’interrogation sur le bien faire) contribuent à transmettre l’ordre symbolique et à construire la qualité des liens sociaux et relationnels auxquels nous aspirons.

Et cet ordre symbolique est toujours à réactualiser et à faire vivre.

Retenons que si la fonction paternelle passe en partie par la lignée procréatrice, on peut aussi considérer qu’elle ne passe « pas-toute » par la triangulation mère-père-enfant, car le « pas-tout » est en chacun de nous : une mère est aussi une femme, un sujet qui se débat dans son rapport à la vie avec son incomplétude, son environnement relationnel, son histoire, sa condition sociale et économique, son organisation quotidienne… Banalité, peut-on se dire. Mais cette banalité s’avère être une révélation pour l’enfant quand il la découvre : sa mère est ailleurs… Son désir n’est pas tout entier tourné vers lui… Elle est même capable de le laisser pour vaquer à ses occupations…

Nous pouvons donc considérer qu’il existe aussi, en la mère seule, une part de la fonction paternelle séparatrice qui est déconnectée de la reproduction, et qui s’inscrit dans l’extra-maternel, dans le rapport à la vie extra-maternelle de la femme devenant mère. Tout du moins jusqu’à aujourd’hui car les femmes sont encore nées d’un père.

Et pour l’avenir ?

Si les données psychiques que j’ai présentées sont le fruit de l’observation des cliniciens et des thérapeutes, si elles peuvent nous donner à connaître et à comprendre les enjeux de l’identité, de la conjugalité, de la parentalité, de la filiation et du développement de l’enfant, il serait sans doute périlleux de considérer ces mêmes données psychiques comme des directives ou des invariants dont la forme ou l’agencement seraient ou devraient être intangibles.

Rappelons que la théorisation conceptuelle des processus psychiques n’est que le compte-rendu après-coup de l’écoute clinique des individus. C’est parce que Freud et ses successeurs ont su écouter des patientes et des patients qu’ils ont pu découvrir les mécanismes psychiques existant dans l’inconscient. Et même si Freud et les psychanalystes après lui tendent vers une psychologie scientifique, c’est le même Freud qui met en garde les psychanalystes contre la tentation d’une « vision de ce que doit être le monde » : la prétention à faire science ne doit pas conduire à affirmer des certitudes péremptoires.

Ce n’est sans doute pas sans raison que la psychanalyse a perdu en crédibilité. En culpabilisant les mères dans la psychose infantile et l’autisme, en produisant dans les médias des interprétations psychanalytiques d’hommes et de femmes qu’ils n’ont jamais rencontrés, en prenant la parole de façon doctrinale, en indiquant ce que doit être un homme, une femme, un père, une mère, certains discours psychanalytiques ont inversé leur posture méthodologique : d’abord écouter pour servir, puis dans un second temps, rendre compte pour faire avancer la connaissance.

Aujourd’hui sur l’extension de la PMA pour toutes, que pouvons-nous dire ?

Peut-être déjà, parler des limites des discours alarmistes ou prosélytes auxquels on nous demande d’adhérer.

Dire pour ne pas être dupes, et dire aussi pour ouvrir d’autres possibles, d’autres perplexités.

Se déprendre tout d’abord des fausses évidences, et dire que :

  • Il est difficile d’adhérer à l’idée que femme et homme ne sont que des constructions sociales interchangeables dans leur sexuation
  • Il est difficile d’adhérer à l’idée que l’amour suffit à garantir le développement d’un enfant : l’amour est un concept fourre-tout, un sentiment océanique qui recouvre des failles et des plaques tectoniques, et qui ne dit rien du désir conjugal[15], ni du désir que l’enfant viendra concrétiser
  • Dire qu’il est difficile d’adhérer à l’idée que toute conception par PMA équivaudrait à une forclusion psychique du nom du père
  • Dire que le droit de l’enfant d’avoir un père est une préférence plus qu’un droit
  • Dire que pour tout couple et pour tout enfant, le chemin de vie n’est jamais tracé d’avance
  • Dire que la diversité des situations de filiations existe déjà, et se rappeler que le plus grand nombre des enfants maltraités ou en souffrance sont nés de rapports naturels au sein de couples hétérosexuels… 
  • Dire que l’approche essentialiste que nous avons « du père », qui consiste à sacraliser le lien con-substanciel père-enfant, nous aveugle sans doute au point de ne pas pouvoir concevoir d’autres configurations de naissances et de filiations, et de transmissions de la loi symbolique.

Mais dire aussi que :

  • Désormais, notre société a organisé la naissance d’enfants en dehors du rapport sexuel : que va désormais donner la collusion entre nos nouvelles techniques médicales et l’exclusion de l’enfant de la « scène primitive », dont on sait que son existence et sa reconnaissance sont des étapes clés du développement psychique ?
  • On sait qu’il est plus facile pour un enfant d’échapper au désir aliénant des parents quand ils sont deux : comment les enfants nés d’un seul parent vont-ils s’y prendre pour se désaliéner du désir de leur unique parent ?
  • Comment se transmettra encore la « loi du Père », la loi des pères, dans ces nouvelles procédures de procréation ? Qui ou quoi incarnera la transmission de l’interdit de la relation fusionnelle et de l’interdit du parricide qui fondent l’éthique du sujet ?

Nous aurons sans-doute à repenser ce que sera demain la fonction paternelle :

  • Restera-t-elle liée à l’homme et à l’acte viril de procréer ?
  • Ou sera-t-elle liée à la mère et à un désir qui ne se suture pas, ne se forclos pas, ne prendra pas l’enfant pour boucher le manque en elle… ?
  • Quid de la place de l’environnement de la mère : quels rôles joueront la place du second parent, le réel du spermatozoïde, l’énigmatique désir du donneur, l’accès possible aux origines, l’information sur le nombre d’enfants que le donneur aura fait naître, la place des médecins, la place des parents des futures mères, le parcours de vie, l’expérience passée, les relations de la future mère, les paroles échangées au cours de ce processus… ?

Si un enfant est toujours le symptôme de ses parents (car il est le fruit de l’union de deux manques à être, de deux incomplétudes), comment vont circuler les désirs, les fantasmes, la jouissance, le manque, l’altérité et la mêmeté dans le couple ou chez la femme seule ? Si un enfant est toujours un « inédit » (PG Gueguen), de quelle alchimie inconsciente naîtra un désir d’enfant ?

Nous voilà renvoyés à la singularité de telle femme et de telle autre, et pas seulement à des mécanismes de fabrication : la diversité des naissances et des parcours nous l’enseigne déjà. La construction et l’équilibre de la personnalité de l’enfant proviennent des parcours familiaux singuliers. La psychanalyse ne peut pas prédire les conséquences du désir inconscient. Aucune cause à effet ne peut être affirmée selon le modèle des sciences exactes, sauf sans doute dans de rares circonstances où les conditions manquent (par exemple dans les pouponnières de Ceaucescu, mais les pouponnières roumaines avaient organisé l’abandonisme des nouveaux-nés).

  • Comment chacun se construira dans la circulation des jouissances intrafamiliales ?
  • Quels seront les nouveaux romans familiaux et les nouveaux psychodrames de demain ?
  • Quels impacts auront ces nouvelles procréations sur le psychisme intrafamilial ?
  • Quels seront les impacts sur la société et le vivre-ensemble ? Faudra-t-il se résoudre à faire évoluer nos positions morales sur la marchandisation du corps et sur l’eugénisme que proposeront inévitablement à terme les progrès scientifiques ? Comment vont évoluer demain les relations entre les humains, les relations entre les sexes ? Et avec quelles conséquences ?

Et avec la GPA à venir, inexorablement, la question ne sera plus qu’est-ce qu’un père, mais aussi qu’est-ce qu’une mère ? ou qui est ma mère ? Car l’enfant devra composer avec la mère d’intention, la mère donneuse d’ovocytes et la mère porteuse…

Avant la révision des lois de bioéthique 2019, le critère éthique dominant était « la conformité du comportement sexuel avec la stabilité et la reproduction de l’ordre familial et social[16] ». Aujourd’hui, l’acte de procréer pourra désormais et légalement être disjoint de l’acte sexuel : mais il y aura encore du sexe chez la femme, et du désir d’enfant, qu’elle soit célibataire ou homosexuelle, … et il y a encore de « l’autre » puisqu’elle y a recours… même si cet autre n’est pas un conjoint désiré. Telle ou telle femme continuera encore d’attendre un enfant, et un enfant naitra de cette attente.

Certes, il n’y aura plus un « voici ton père », mais il peut encore exister quelque chose « de la loi du père » dans la transmission de la mère à l’enfant :

Rien n’indique à priori qu’il y a de la forclusion psychique ou de la consommation commerciale dans toute démarche PMA

Rien n’indique non plus qu’il y a plus d’amour ou plus de désir d’enfant dans cette démarche, comme on peut l’entendre parfois des postulants à la PMA pour toutes.

Nous serons sans-doute appelés à écouter chacun (mère, enfant, conjointe) et à déchiffrer la façon dont chacun se débat dans la vie avec son histoire, son désir et son inconscient, comme cela se fait actuellement.

Nous recevrons sans doute quelques-uns de ces enfants, mais pas tous… comme cela se fait aussi actuellement.

Nous devrons aussi faire un effort de décentration méthodologique : celui de ne pas se servir des éléments de la clinique pour justifier nos croyances, nos idéologies, ou nos représentations prédéterminées.

« Une Weltanschauung (vision du monde) est une construction intellectuelle qui résout, de façon homogène, tous les problèmes de notre existence à partir d’une hypothèse qui commande le tout » (Freud), et qui ne laisse aucune question sans réponse.

Toute vision du monde risque d’être une morale figée qui dit ce que le monde doit être. Jusqu’à présent, la « PMA pour toutes » nous dit seulement ce qui pourra être pour telle ou telle femme qui y aura recours.

Même si certaines inquiétudes ne sont pas sans fondements, concluons en disant que si de nouvelles valeurs sont instituées au niveau collectif, l’éthique sera encore et toujours convoquée au niveau individuel.


[1] CCNE, Contribution InterLGBT

[2] CCNE, Conseil national du Barreau

[3] Le Monde, 21 septembre 2019

[4] Le corps entre biotechnologies et psychanalyse : à propose de la PMA, 1993

[5] Libération, 5 juillet 2017

[6] Le Monde, 27 décembre 2012

[7] Joseph Moingt, Religion et paternité, Littoral, 11/12, Février 1984

[8] L’enfant d’un autre, S. Lama

[9] Ph. Julien, Qu’est-ce qu’un père ? Études, décembre 1984

[10] Ph. Julien, Études, décembre 1984

[11] Philippe Julien, L’amour du père chez Freud, Littoral 11/12, 1984

[12] Philippe Julien, Tu quitteras ton père et ta mère, Aubier, 2000

[13] Freud, Les théories sexuelles infantiles, p. 22 ; in La vie sexuelle, PUF

[14] Joseph Moingt, Littoral

[15] Pour quelles raisons aime-t-on quelqu’un ? Pour quelles raisons souhaite-ton un enfant ?

[16] Joseph Moingt, Littoral 11/12, février 1984

Dominique BASTROT

Avocate à la Cour

Propos introductifs :

Il y a dans ce travail de Bruno LARROSE une volonté de penser en dehors d’un système. Ni LGBT, ni « un papa, une maman pour tous ». C’est un vrai travail sur l’éthique, qui amène chacun à plus d’écoute de l’Autre, plus de compréhension mutuelle, et pour cela il doit être remercié.

On sait que tout ce qui est possible ne peut pas être fait, qu’aussi certaines décisions prises pour notre société peuvent être porteuses de plus de liberté, plus d’espace pour la sensibilité de chacun, plus d’émancipation ; ou encore de plus de souffrance pour les plus fragiles, plus de trauma, plus de difficulté à trouver sa place dans la communauté.

On peut à ce jour faire les constats suivants :

  • La procréation (assistée ou non), n’a rien à voir avec les orientations sexuelles, mais a tout à voir avec la différence des sexes.
  • Aucun être humain n’a d’autonomie reproductive.
  • Tout se passe comme si l’absence de père dans la PMA pour les femmes se doublait d’une nécessité de connaitre l’identité du donneur…

1- Comment nait la paternité dans notre société ?

  • Par le mariage : présomption de paternité, qui remonte au droit romain. « Mater semper certa est, pater est quem nuptiae demonstrant ».
  • Par la reconnaissance : enfant né hors mariage reconnu par le père qui se déclare comme tel auprès de l’Etat Civil (pas besoin de l’accord de la mère)
  • Par la possession d’état : si aucun lien de filiation biologique n’est établi, la réalité sociale de ce lien est constatée en justice. La paternité se prouve alors par le témoignage de ceux qui ont vu cet homme se comporter comme un père.
  • Par la loi : l’adoption, qui repose sur une fiction et pas sur une vérité biologique. Déconnecté de tout fondement procréatif. Le texte ne parle pas pour ces parents de père et de mère mais d’adoptants !

2- Qu’en est-il pour la PMA ?

Article 331-19 du Code Civil :

« En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation.

Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur. »

Article 311-20 du Code Civil :

« Les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement à un notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation.

Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet.

Le consentement est privé d’effet en cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée. Il est également privé d’effet lorsque l’homme ou la femme le révoque, par écrit et avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette assistance.

Celui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant.

En outre, sa paternité est judiciairement déclarée. »

L’accord donné par le père et par la mère (sur la personne du père) crée le lien de filiation et supplée au lien biologique et à la présomption de paternité.

La maternité s’établit de manière très classique : la mère est celle qui est désignée dans l’acte de naissance de l’enfant ; c’est donc celle qui a accouché de l’enfant, même si ses propres gamètes n’ont pas été utilisées.

Toute l’histoire de la filiation est un compromis entre le biologique et le fait social.

3- Paternité et autorité parentale

Dans le code civil il n’existe pas de chapitre pour dire qui est le père ou qui est la mère. On ne parle que des modes d’établissement de la filiation : comment on devient fils ou fille.

C’est d’abord l’enfant qui est au centre. C’est pour lui qu’on organise la parentalité, afin qu’il soit protégé et conduit jusqu’à son autonomie.

L’autorité vis à vis de l’enfant ne vient pas de la personne du parent, mais elle est conférée par la loi.

Le père a d’abord été le patriarche, le pater familias. Il exerçait seul, à partir de cette place, la puissance paternelle, sans partage avec la mère.

A compter de 1970, disparition de la puissance paternelle au profit de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Pour reprendre les mots d’un sociologue de l’époque : « on a transformé la famille en usine à deux patrons » : ça peut très bien marcher !

L’autorité parentale est définie ainsi par la loi : « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant, pour le protéger dans sa santé, sa sécurité et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect de sa personne ».

Le beau-père peut se voir accorder en justice une part de l’autorité parentale, mais jamais sans l’accord du père.

4- Enfin, dans aucun des codes qui fondent notre système législatif, il n’est question d’amour. Les enfants, à tout âge, doivent honneur et respect à leurs parents (article 371 du Code Civil) ; les parents doivent respecter la personne de leur enfant (article 371-3 du Code Civil). Mais la société n’oblige personne à aimer ses enfants ou ses parents. Qui pourrait juger du respect de de l’obligation d’aimer si elle existait ? Qui saurait sonder « les cœurs et les reins » avant de juger ?

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